Retour sur les enseignements clés issus du dîner Chief People Officers organisé par Sonnar qui a réuni des DRH d’entreprises comme Pigment, Alan, Welcome To The Jungle, MyTraffic, SmartBox, Homa Games, Open Classrooms, Vestiaire Collective …
Recruter un dirigeant est l’une des décisions les plus stratégiques pour une entreprise, qu’elle soit en phase de scale-up ou déjà bien installée. Pourtant, ce processus s’avère souvent complexe et long, demandant des efforts coordonnés entre les cofondateurs,.trices l’équipe de recrutement et les équipes métiers. Combien de temps faut-il pour recruter un.e dirigeant.e, comment l’évaluer, notamment du point de vue du fit culturel, et comment mieux impliquer les managers et le COMEX dans le process ?
Intervenants Experts :
- Matthieu Birach, Chef People Officer @Doctolib
- Grace McKelvey, Head of People @Dioxycle, ex-Botify & ENGIE
- Stella Walter, VP People @Alven, ex-Luko, Eutopia & Showroomprive
1. La durée du processus : un investissement incontournable
Recruter un dirigeant peut prendre entre six mois et un an, voire plus, selon la complexité du rôle et du marché. Si ces délais peuvent sembler longs, ils sont nécessaires pour s'assurer que le bon candidat est sélectionné. En particulier dans des secteurs de niche, où les compétences sont rares, comme la deeptech, il est parfois préférable de laisser un poste vacant plutôt que de recruter une personne inadéquate.
Les processus longs permettent également une meilleure évaluation mutuelle. Pour des rôles stratégiques, il est essentiel de prévoir plusieurs étapes structurées, notamment un cas et un entretien de fit, en impliquant un certain nombre de parties prenantes. Cela donne au candidat l’occasion de découvrir l’entreprise, de s’y projeter véritablement (ou pas), tout en permettant à l’organisation d’évaluer l’adéquation sur des compétences techniques, managériales et culturelles.
À l’autre extrême, certaines entreprises, comme Free, privilégient des processus courts : "On ne partage pas l’idée qu'on puisse prédire la performance d’un dirigeant à travers un process de recrutement. Nous les mettons directement à l’épreuve après un process court, mais en interne, tout le monde est habitué à ce qu’un dirigeant puisse être remplacé après 2 à 3 mois, voire une semaine, s’il ne performe pas. Et c'est OK."
2. L’implication des dirigeants : un pré-requis essentiel
L’un des défis majeurs dans le recrutement des dirigeants est d’impliquer les managers et les membres du COMEX tout au long du process. Beaucoup sous-estiment l’importance de la phase de préparation et se limitent à des briefs succincts. Consacrer du temps à cette étape initiale permet pourtant de clarifier les besoins et d’éviter des erreurs coûteuses par la suite.
Proposer une visualisation des premières semaines de collaboration permet également de mieux aligner les attentes des différentes parties.Comme l’a souligné un recruteur : "C’est surtout lors de la phase de préparation qu’il est difficile d’obtenir du temps de la part des managers, car ils disent souvent : ‘Je t’ai envoyé un Slack avec quatre bullet points, tu peux y aller.’"
De plus, l’utilisation de scorecards pour documenter chaque étape d’évaluation garantit une approche objective et structurée. Cependant, il peut être difficile pour les recruteurs de faire remplir ces scorecards aux interviewers : "Les gens pensent que dire ‘elle était top, bon fit’ suffit. Mais non, il faut remplir tous les aspects de la scorecard." Pour y parvenir, il est essentiel d’avoir l’intentionnalité du ou de la CEO, ou une figure d’autorité comme un cabinet spécialisé, capable d’imposer le rythme grâce à son expertise approfondie du marché. D’autres leviers peuvent inclure le blocage des processus tant que les évaluations ne sont pas complétées, ou l’intégration du recrutement dans les objectifs individuels des managers, voire dans leur rémunération variable.
3. Évaluer le fit culturel : un équilibre entre objectivité et subjectivité
Le fit culturel est souvent un facteur déterminant dans le succès ou l’échec d’un recrutement de dirigeant, parfois encore plus que les compétences techniques. Pourtant, il est fréquemment mal interprété.
Pour objectiver cette notion, certaines entreprises structurent l’évaluation en listant les comportements attendus et les valeurs clés : "Il faut absolument rationaliser le fit culturel ; on ne peut pas se contenter de dire : ‘Je n’aimerais pas prendre une bière avec cette personne.’"
Une transparence totale en fin de processus peut également renforcer la confiance, par exemple à travers des échanges plus informels pour tester les réactions sincères du ou de la candidat(e). Chez Doctolib, par exemple : "À la fin du process, lorsque tout a été validé, nous avons une conversation honnête et ouverte avec le candidat. Nous expliquons : voici nos faiblesses, voici nos forces, et voici ce que vous devez savoir sur nous."
Présenter l’entreprise telle qu'elle est, sans survendre, le caractère du ou de la manager ainsi que les défis à venir, permet de valider une réelle compatibilité avant l’embauche. Ce type de "discussion d'adulte" permet d’évaluer si le candidat est réellement aligné avec les réalités et les défis de l’entreprise.
4. Trouver l’équilibre entre structure et flexibilité
Bien que des processus structurés soient indispensables, laisser de la place à l’informel peut offrir des insights précieux. Les échanges naturels, comme des déjeuners ou des walking meetings, permettent d’évaluer les qualités humaines d’un candidat dans un cadre plus détendu. Un participant a noté : "Un processus de recrutement pour un C-level où tout le monde est aligné et où il n’y a aucun challenge ni doute, ça me fait peur."
Ces moments informels sont particulièrement utiles pour comprendre comment le candidat interagit spontanément avec les équipes et les parties prenantes. Ils complètent les étapes plus formelles du recrutement en offrant une perspective plus nuancée.
Comme l’a ajouté Cyrille Lafont de Sonnar : "Cela dépend aussi de la maturité de l’entreprise. Les jeunes entrepreneurs cherchent souvent à se rassurer avec des méthodes structurées et ne laissent pas beaucoup de place à l’informel. Le fit est parfois mal compris – ils pensent qu’il doit être entièrement objectif. Mais les entrepreneurs plus expérimentés passent plus de temps sur le fit, car ils ont appris de leurs erreurs pas
5. Clarifier les besoins
Les recruteurs jouent un rôle clé dans la distinction entre ce que le manager pense vouloir et ce dont il a réellement besoin. Comme l’a expliqué un participant : "Il y a ce que le manager pense vouloir et ce qu’il veut vraiment. Souvent, il y a un léger décalage, et c’est le rôle du recruteur de comprendre leur style de travail et leurs préférences."
Cette capacité s’affine avec l’expérience et la confiance mutuelle, permettant ainsi d’éliminer les zones d’ombre, notamment les aspects "objectivables "du fit pour chaque candidat. Une connaissance approfondie du CEO est également essentielle : "En tant que recruteurs, notre connaissance du CEO est clé pour les recrutements C-level."
Cependant, méfiance car comme le souligne une participante : "Plus vous avez envie de finaliser un recrutement, plus vous êtes susceptibles de faire des erreurs."
6. L’importance de l’onboarding
L’onboarding est aussi crucial que le processus de recrutement lui-même. Même après un processus long et rigoureux, c’est souvent pendant cette période que la compatibilité d’un dirigeant avec l’entreprise est réellement mise à l’épreuve. Comme l’a souligné une des participantes : "Le meilleur assessment, c’est l’onboarding : est-ce que le dirigeant sera capable de s’intégrer seul, surtout dans une entreprise avec une forte culture ?"
Dans certains environnements, l’onboarding est même perçu comme une période probatoire, avec la flexibilité nécessaire pour ajuster si besoin.
En conclusion
Recruter un dirigeant demande du temps, de la patience et une collaboration étroite. Les entreprises qui réussissent ces recrutements stratégiques sont celles qui équilibrent structure et flexibilité, moments formels et informels, tout en garantissant un alignement culturel – un facteur clé pour les recrutements de ce niveau. Comme l’a résumé un participant : "Un entretien n’est qu’un point de vue, un data point parmi d’autres. Un recrutement, c’est de la co-construction."